Manager ses anciens collègues : mission impossible ?

Devenir le manager de ses anciens collègues est l’une des missions les plus périlleuses pour le manager nouvellement promu.

Il est vrai que cette situation, très fréquente, comporte pourtant des avantages certains. Le contexte du poste est connu, tout comme le sont le métier, les objectifs, les contraintes, les produits, les clients… et bien sûr l’équipe. Tout cela constitue un « plus » indéniable, dont rêverait le manager néophyte catapulté en terre inconnue !

Pourtant, l’expérience montre que pour beaucoup de managers, c’est un vrai défi. Et celui-ci vient s’ajouter aux autres attentes (voire pressions) exprimées par leur N+1 lors de leur prise de fonction. Difficulté de positionnement, recherche de légitimité, peur du faux-pas, posture inconfortable… Voilà autant de ressentis livrés par les dizaines de managers que j’ai eu le plaisir d’accompagner ces dernières années. C’est riche de ces rencontres et de ces échanges que je vous livre ici mon point de vue sur cette question sensible. Après avoir exposé les difficultés et risques auxquels sont confrontés ceux qui managent leurs anciens collègues, je vous proposerai quelques bonnes pratiques pour trouver le juste positionnement et asseoir sa légitimité de manager dans ce contexte si particulier.

Manager ses anciens collègues : mission impossible ?
Manager ses anciens collègues : mission impossible ?

Les difficultés et les risques du manager face à ses anciens collègues

« Copain-copain » ou « petit chef » ?

Le premier risque, et sans doute le plus prégnant, c’est le mauvais positionnement. Deux cas de figure sont alors envisageables. Le premier -le plus fréquent-, c’est la dérive vers un management « copain-copain ». Soucieux de préserver la nature des relations avec ses anciens collègues, le manager n’assume pas pleinement son nouveau statut. Il ne souhaite heurter personne, marche sur des œufs et n’arrive pas (ou ne souhaite pas) mettre suffisamment de distance entre ses collaborateurs et lui-même. Cette trop grande proximité est la cause de difficultés majeures dans les mois et les années qui suivent. Quand « tout va bien », le manager copain-copain fait passer sans peine ses messages et parvient à mobiliser son équipe convenablement. Mais quand les choses se gâtent, lorsque surgit le conflit ou le comportement déviant à recadrer, il devient alors bien incapable de gérer la situation. En cherchant à demeurer le collègue qu’il était, le manager n’a pas assis sa position hiérarchique.

Or, cette autorité est indispensable pour arbitrer, trancher, exprimer un désaccord avec force, voire au besoin « taper du poing sur la table ». Certains de ses anciens collègues sont devenus des amis au fil des années et le piège affectif s’est refermé.  Comment se comporter « d’égal à égal » avec son collaborateur du lundi au vendredi (et jouer au tennis avec lui le jeudi soir 😉) et le convoquer dans son bureau le vendredi pour le recadrer, voire le sanctionner, suite à un comportement inapproprié ? On imagine bien toute la difficulté du manager qui, en refusant d’exercer une autorité hiérarchique trop marquée pour préserver les relations antérieures, s’est en fait… tirer une balle dans le pied !

A l’inverse, et même si cela est moins fréquent, il arrive que certains managers, anticipant ce risque, tombent dans l’excès inverse. Désireux de s’imposer comme patron indiscutable de l’équipe, ils changent radicalement de comportement au quotidien et établissent une distance marquée entre leurs collaborateurs et eux-mêmes. Convaincus que cela les aidera à enfiler leur nouveau costume de manager, ils vont jusqu’à travestir leur attitude, leurs relations, leurs idées. Ce changement radical de comportement dessert grandement leur crédibilité auprès de l’équipe, qui ne les comprend plus et ne les reconnait plus. C’est un manager dans une PME industriel qui me dit avoir été affecté par un propos tenu par l’un de ses opérateurs : « Tu as changé… Depuis que tu es devenu chef, on ne te reconnait plus ! ». C’est encore cette réponse reçue par un chef d’équipe, dans l’hôtellerie qui demandait à l’un de ses collaborateurs d’augmenter la cadence : « Tu ne te rends pas compte… Tu as oublié qu’avant tu étais à notre place ».

Certes, ces piques ne reflètent pas toujours la réalité et le comportement du manager n’est bien souvent pas le seul fautif. Mais l’incompréhension est d’autant plus grande quand le manager nouvellement promu dérive (souvent sans s’en rendre compte) vers l’autoritarisme. Pour se faire respecter, il montre que c’est lui le patron et qu’il peut prendre seul les décisions. Alors, il change brutalement les procédures, fixe sans concertation de nouveaux objectifs, bouleverse les habitudes sans tenir compte de l’avis de ses collaborateurs. Ce faisant, et à son corps défendant, il se met à dos l’équipe et au-delà de l’inimitié qu’il génère, il démobilise un à un ses collaborateurs.

Le blues du manager

A côté de ces deux risques de dérive, « copinage » et « autoritarisme », il existe une autre difficulté importante pour celui qui manage ses anciens collègues. Cette difficulté, c’est un malaise, un inconfort, un sentiment de perte. C’est le ressenti de celui qui passe de l’expert au manager, de « celui qui fait » à « celui qui fait faire ». Autrefois opérationnel reconnu pour son savoir-faire métier, son expertise, son tournemain, le nouveau manager en est « privé » du jour au lendemain. Ou plus exactement, ce n’est plus sur ces points là qu’il est attendu par son N+1… et par son équipe non plus d’ailleurs ! Sa légitimité provenait de son expertise métier, qui lui a d’ailleurs en partie permis d’être promu sur ce poste d’encadrement. Aujourd’hui, il doit y renoncer et démontrer d’autres qualités, de leader, d’organisateur, de chef d’orchestre, de coach… Quel vertige ! Il lui faut faire le deuil d’une expertise, valorisante et reconnue pour mieux développer des savoir-faire managériaux encore mystérieux voire énigmatiques. Souvent mal vécu, ce sentiment de perte génère de la confusion, de l’insécurité et un certain mal-être qui complique la vie du nouveau manager.

Enfin, il est des circonstances où l’entreprise ne facilite pas la vie du manager… Je pense à tous ces managers « à temps partiel » à qui l’on demande d’assumer deux casquettes simultanément. 80% du temps manager et 20% opérationnel, ou bien l’inverse, selon les fantaisies de l’entreprise : 20% du temps manager et 80% en production. Les salariés confrontés à ces injonctions rencontrent encore plus de difficultés dans leurs missions managériales que les encadrants à temps plein. Ils doivent de fait démontrer chaque jour un professionnalisme de haut niveau pour produire au moins autant, sinon mieux que leurs collègues. Mais cet ancrage et cette performance dans la production rend plus difficile l’expression de leur autorité sur des travailleurs, au même niveau qu’eux et dont ils partagent le quotidien. Concilier management et expertise est une difficulté supplémentaire imposée par l’entreprise à un manager récemment promu. Ce faisant, elle ne lui rend pas service.

Pour ce manager « tiraillé » comme pour tous ceux qui sont amenés un jour à manager leurs anciens collègues, découvrons à présent quelques bonnes pratiques pour mieux vivre cette aventure !

Les bonnes pratiques pour manager ses anciens collaborateurs

Des échanges avec les managers que j’accompagne, se détachent quelques bonnes pratiques : une attitude, un préalable et quelques actions stratégiques.

Continuer d’être soi-même

L’attitude gagnante peut se résumer en une phrase : conserver le même ton de communication cordial. Gardons à l’esprit que plus le manager change radicalement son comportement, plus il se décrédibilise et risque des retours d’image peu amènes, déstabilisants, parfois blessants. Si vous êtes amené à encadrer vos anciens collègues, votre attitude doit être cohérente avec celle qui était la votre lorsque vous faisiez partie de l’équipe. Vous devez continuer de vous inscrire dans la ligne que vous défendiez auparavant avec authenticité. Peut être cela vaut-il la peine de rappeler ce qui se cache derrière ce mot parfois galvaudé. L’authenticité, ce n’est pas forcément dire tout ce que l’on pense, mais, à tout le moins, penser tout ce que l’on dit. Cette nuance a son importance. L’authenticité, n’empêche en rien de garder une certaine retenue sur certains sujets sensibles (politique de la direction par exemple) ni d’affirmer haut et fort des convictions fortes sur la bonne marche à suivre. Pour celui qui manage ses anciens collègues  comme pour n’importe quel manager, l’assertivité est une des clés majeurs de la performance relationnelle.

Sonder les cœurs et les âmes

La deuxième bonne pratique, c’est un préalable. Et ce préalable, c’est l’analyse du contexte. Etiez-vous le seul candidat à ce poste ou y a-t-il au sein de l’équipe des candidats malheureux qui convoitaient la même place ? Devenir le manager direct de collaborateurs qui aspiraient à votre poste peut être une situation explosive. Il convient alors de la « déminer » avec le plus grand soin en prenant le temps de rencontrer en face-à-face le ou les concurrent(s) infortuné(s). Il ne s’agit pas de se justifier ou de revenir sur les raisons qui ont amené à votre nomination (elles ne vous appartiennent pas) mais plutôt de connaitre l’état d’esprit de votre collaborateur. Sa déception se double-t-elle d’amertume, de rancœur, voire de colère ou d’un sentiment d’injustice ? Ces sentiments négatifs peuvent se traduire en véritable sabotage (parfois inconscient) du travail par ce collaborateur déçu. Connaitre ses sentiments permettra au manager de mieux comprendre les attitudes de son salarié et de mieux l’accompagner. Le sujet qui fâche, abordé ensemble les yeux dans les yeux, permet de dépasser l’antagonisme et de poser les bases d’une relation de travail gagnant-gagnant.

Si l’ex-concurrent est à rencontrer en premier, un entretien individuel s’impose avec chacun. On sous-estime souvent la force des sentiments qui peuvent être ressentis par les membres d’une équipe qui perd son manager. Ce peut être de la peur, car on ne sait pas « à quelle sauce on va être mangé ». Ce peut être également de la frustration comme je l’ai vu chez un collaborateur issu d’une petite équipe au sein d’un bureau d’étude. Il avait fait ses preuves et attendait une évolution. Apprenant la nomination de son collègues à la tête du service, il craignait devoir tout recommencer pour faire valider son projet auprès du nouveau manager. Parfois, les sentiments peuvent être de la colère nourrie par l’incompréhension ou la conviction d’avoir été dupé, ou bien encore tout simplement de la tristesse et de la déception de voir partir un manager apprécié…

Se sentir légitime « dans sa tête »

En même temps que cette analyse du contexte, le premier travail que doit mener le manager, c’est un travail sur lui-même. Il vise à lutter contre ce mal bien connu qui entrave la prise de fonction du manager : le syndrome de l’imposteur. C’est le sentiment de ne pas être à la hauteur, le sentiment de ne pas être à sa place, le sentiment qu’un autre était sans doute plus qualifié que nous pour ce poste… Ce ressenti fréquent des managers fraichement promus est encore plus problématique dans le cas d’un management d’anciens collègues, où le juste positionnement est si difficile à trouver. Apparaitre légitime aux yeux de l’équipe, c’est d’abord se sentir légitime « dans sa tête » ! Oui, vous êtes à votre place, oui, vous êtes la femme ou l’homme de la situation ! Persuadez-vous en si vous voulez que les autres en soient persuadés !

Si vous avez été choisi, c’est que votre hiérarchie a détecté en vous des qualités de manager. Et, c’est d’ailleurs là que repose une des clés de la réussite pour prendre avec succès la direction d’une équipe dont on est issu. En effet, le nouveau responsable d’équipe doit toujours garder en tête les raisons qui ont présidé à sa promotion. Il n’a pas été sélectionné parce qu’il produisait plus vite que ses collègues, qu’il vendait plus ou qu’il fidélisait mieux ses clients. Il a été promu parce qu’on a décelé en lui certaines qualités essentielles d’un bon manager : des capacités à prendre de la hauteur, à anticiper, à prendre des responsabilités. C’est bien sur ces trois points qu’il faudra vous appuyer dans les premiers jours de votre prise de fonction. Ces capacités vous ont rendu légitime auprès de votre hiérarchie ; elles renforceront également votre légitimité auprès de votre équipe.

Clarifier les règles et professionnaliser les relations

Aussi, le meilleur service que peut se rendre celui qui encadre son équipe d’origine est de démontrer au plus vite sa capacité à prendre du recul sur l’activité. Il peut le faire en partageant avec son équipe un diagnostic de l’unité telle qu’elle fonctionne aujourd’hui, en définissant de nouvelles règles pour améliorer l’existant, en fixant des lignes directrices pour mieux travailler tous ensemble… Autant de décisions managériales et d’actions fondatrices qui donneront le ton et ne laisseront plus de doute sur le bien-fondé de sa nomination.

Clarifier, voire au besoin définir, les règles du jeu au sein de l’équipe est un passage obligé du nouveau manager. Lorsque c’est face à vos anciens collègues que vous vous positionnez, cette démarche a pour avantage de professionnaliser les relations. Votre autorité managériale dépend en effet en grande partie de votre capacité à fixer des règles… et à les faire respecter. L’enjeu n’est ni de flatter votre égo en apposant votre marque, ni le plaisir de défaire le travail de votre prédécesseur. Il est plus grand et plus « noble » que cela. L’enjeu est d’affirmer vos convictions et de poser les bases d’une relation fructueuse avec votre équipe. L’assertivité est là encore un allié précieux.

Réunir l’ensemble des collaborateurs rapidement après sa nomination est en ce sens une vraie bonne pratique. Au cœur de cette réunion, le manager rappelle utilement le contexte dans lequel se trouve l’équipe puis fait part de ses convictions sur ce qui, selon lui, fonctionne bien et sur ce qui mériterait d’être amélioré. Il peut alors faire des propositions en ce sens et solliciter les idées de ses collaborateurs pour aller dans cette voie. Votre capacité à animer des réunions véritablement interactives et sollicitant l’intelligence collective au service d’un projet d’équipe renforce votre aura de manager et la confiance qu’on vous accorde.

D’une manière plus générale, votre capacité a très vite professionnaliser les relations, à poser votre exigence et à associer vos collaborateurs à la nouvelle dynamique est l’une des clés de votre réussite.

En conclusion…

Alors, Manager ses anciens collègues, mission impossible ? Certainement pas !

Mais, mission difficile assurément ! En étant attentifs aux écueils qui guettent le manager trop timoré ou trop pressé et en s’appropriant les quelques bonnes pratiques proposées plus haut, nul doute que vous parviendrez à mettre en place une véritable relation hiérarchique, saine et authentique.

Ne soyez pas trop entreprenant, laissez du temps à votre équipe, restez à l’écoute, accueillez avec humilité les remarques et les critiques, affirmez vos convictions en respectant celles des autres, informez-vous et formez-vous pour gagner en intelligence de la situation et donc en efficacité et surtout… faites confiance en votre bon sens !

Michaël BERGERON pour ACME Formation


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